Traduit de l'anglais par Daniel Grenier.
Mémoire d'encrier, 2021.
C'est la couverture de ce livre qui a attiré mon attention dans la vitrine de la librairie L'herbe rouge (rue d'Alésia). J'ai tout de suite aimé l'illustration au crayon représentant dans un style un peu enfantin une femme nue aux chaussures rouges à talons hauts, assise sur un tabouret, relevant ses cheveux en queue de cheval. C'est une œuvre de l'artiste Inuit Annie Pootoogook intitulée Woman At Her Mirror.
Norma Dunning est également Inuit. Annie Muktuk est son premier livre et c'est une magnifique galerie de portraits d'hommes et surtout de femmes Inuits contemporaines. Leurs histoires chamboulées, arrachées à leurs modes de vie et langues maternelles, leurs façons de lutter contre cette colonisation de leurs vies et leurs identités. C'est raconté avec force, beaucoup d'humour et d'humanité.
Il y a l'histoire de ce couple, Elipsee et Jo, dont la femme est condamnée à mourir à cause d'un cancer du sein. Ils décident de quitter la ville pour revenir sur les terres de leur enfance et retrouver le contact avec eux-mêmes.
Il y a Kakoot le vieillard qui attend son heure dans un hospice, qui ne rêve que de foutre le camp lui aussi pour retourner chez lui.
« Au monde des Blancs dans lequel il était engoncé, Kakoot a offert un sourire. Il avait appris à sourire depuis des années, c'était comme ça quand vous aviez affaire aux Blancs. Vous souriez, vous acquiescez, et dès qu'ils ont le dos tourné, vous pouvez redevenir vous-même. Les Blancs aimaient bien se dire que les sauvages dans le Nord étaient passifs, obligeants, aussi naïfs que des enfants, mais la vérité c'est que personne là-haut n'en avait rien à foutre. »
Norma Dunning. Annie Muktuk et autres histoires. Traduit de l'anglais par Daniel Grenier. Mémoire d'encrier, 2021, p.52
Il y a Annie Mukluk, que certains appellent Annie Muktuk, du nom de ce plat traditionnel inuit à base de peau et gras de baleine, pour se moquer d'elle. Une femme qui se peinturlure le visage et qui couche avec tout le monde, reprend le contrôle des hommes autour d'elle à travers le sexe et se déclare « PDG de la baise ».
Il y a Husky, agent de la compagnie de la Baie d'Hudson, qui vit joyeusement dans la nature avec ses trois femmes inuits et leurs bébés, et qui fait l'erreur un jour de vouloir emmener toute cette petite famille en vacances à la ville.
Il y a surtout ces trois sœurs, Hikwa, Puhuliak, et Angavidiak, envoyées comme tant d'enfants inuits dans un pensionnat communautaire chargé de leur faire oublier leur identité, leurs noms, leur langue maternelle, leurs manières de vivre, et qui pourtant trouveront des manières de continuer à exister.
« Les Blancs appellent ça une école. Mon père a dit qu'on devait venir ici. Toutes les trois. Pourquoi ? C'est ce que je n'ai jamais compris, pourquoi il nous avait envoyées loin de lui. Ici, c'est différent. On ne dort pas par terre. On a reçu des noms étranges. Des noms qui n'ont pas de sens. Des noms qui me font me sentir bizarre. Je ne sais plus qui je suis. »
Norma Dunning. Annie Muktuk et autres histoires. Traduit de l'anglais par Daniel Grenier. Mémoire d'encrier, 2021, p.146