nuage zéro

Une soirée au festival Exit de Créteil

28.03.2009

affiche

Je commence par visiter l’exposition « Les nouveaux monstres » qui regroupe de nombreuses installations de jeunes et moins jeunes artistes internationaux sur le thème du monstrueux. Beaucoup de gadgets, mais une installation fonctionne particulièrement bien, sur le mode des cabinets de curiosités forains : Instrument for the measure of absence du groupe américain Temporary Distortion.

Une petite porte rouge au fond d’un couloir noir, que l’on est invité à ouvrir. On entre dans une minuscule cabine, à peine assez grande pour contenir une personne. Dès que je referme la porte derrière moi, le noir se fait, et des sons inquiétants résonnent autour de moi (craquements, hululements). Je remarque alors un trou dans l’une des parois, et me penche pour regarder à travers cet œilleton : je vois la vidéo d’une femme asiatique assise à un bureau. Elle sort un revolver d’un tiroir, et le considère attentivement. Elle se lève et s’éloigne du bureau sans quitter l’arme des yeux. Puis elle vient s’asseoir au premier plan, de dos, se saisit de l’arme... et se tire soudain une balle dans la tête (O∆O) Son sang gicle sur l’œilleton à travers lequel je l’observe. Je sursaute en arrière !

En ressortant, sonnée, je reste un instant près de la boîte et entend soudain le « bang ! » du revolver et le petit cri de frayeur du visiteur suivant, piégé à son tour par l’installation.

Temporary Distortion est apparemment spécialisé dans la création de performances entre arts plastiques et théâtre, où le public est invité à entrer dans des boîtes noires remplies d’effets mécaniques et vidéo, où les acteurs et actrices sont le plus souvent des présences humaines immobiles…

Je vais ensuitre voir Red Fly / Blue Bottle de Latitude 14 : du théâtre musical intéressant, encore des new-yorkais, une fille et un garçon qui racontent et chantent des histoires étranges de mouches rouges, de voyages sans but, le tout accompagné de multi-projections en super 8, 16 mm et vidéo sur des écrans divers (un grand écran en fond de scène, un petit écran sur pied, et l’intérieur d’une petite valise).

J’enchaîne sur Cris et chuchotements mis en scène par le belge Ivo Van Hove et la compagnie Toneelgroep Amsterdam d’après le texte d’Ingmar Bergman. J’avoue que j’y vais à moitié en traînant les pieds, car je m’attends à du théâtre contemporain abscons et chiant. Mais bon, il faut rester curieux ! Et ce spectacle comporte en effet tous les éléments qui en général me font fuir : hystérie des acteurs, ils se mettent tous à poil, déversement de merde, sang, vomi, etc., le tout dans un décor archi élaboré de structures mobiles qui servent d’écrans à de multiples projections d’images en temps réel ou en différé…

Mais je me prends une énorme claque ! Peut-être est-ce dû au fait que je me dégotte une place au premier rang, distante d’à peine quelques mètres des acteurs… En tout cas je suis absorbée pendant 1h40, stupéfaite, terrorisée, emballée ! Les acteurs sont incroyables. Et en particulier Chris Nietvelt dans le rôle d’Agnès, une femme en train de mourir : elle se vautre dans le vomi et la merde, c’est très pénible à regarder, mais je suis fascinée par son regard bleu et fixe de folle. Lorsqu’elle meure, elle joue son agonie en se jetant de la peinture sur tout le corps, se roule par terre en hurlant à la mort, à 3 mètres de moi : je suis terrorisée, scotchée à mon siège, j’ai l’impression qu’elle va me sauter dessus tellement elle semble possédée ! Et ses partenaires de jeu ne sont pas en reste. Ils se donnent tous corps et âme à la vision de Van Hove, jusqu’à la démence.

Comment peut-on ainsi se donner entièrement, totalement sur un plateau, devant le regard des autres ?! Je sais que c’est la base du travail du comédien, mais je ne l’avais jamais ressenti avec une telle puissance, je suis sidérée par ce que parvient à construire le metteur en scène.

La fin est un peu étrange : après toute cette folie, cette douleur, ces rapports malsains au sein de cette famille, ces femmes au bord de la crise nerfs… le spectacle s’achève sur le retour d’Agnès morte, qui délivre un petit monologue sur la quête solitaire de l’artiste pour trouver le contact avec les autres êtres humains, le tout sur une petite musique sirupeuse, et une vidéo d’enfants qui s’ébrouent dans la neige, presque comme une publicité pour une compagnie d’assurances…

Je sors de la salle quand même légèrement sous le choc, et me dirige vers la petite salle de la MAC où se joue Arias with a Twist des new yorkais Joey Arias et Basil Twist. Et suis immédiatement emportée dans un monde diamétralement opposé à celui de Van Hove, mais tout aussi dément : Joey Arias est une fantastique créature à la fois mâle et femelle (”chromosome Z” comme elle dit).

couverture du CD Arias With a Twist où m'on voit Joey Arias en sous-vêtements noirs et bas résilles avec des tentacules roses et bleues qui semblent surgir de son dos et le transformer en Shiva sur fond de cosmos étoilé

Un univers glamour et kitsch à en tomber par terre, où l’on suit les aventures de Joey Arias enlevée par des extra-terrestres libidineux, puis son échappée dans une jungle luxuriante où des fleurs monstrueuses et des boas géants se penchent sur Joey avec des intentions tout aussi inavouables. Sous l’emprise d’un champignon disco, elle est prise de délire, et la voilà entourée de démons rouges et dansants à qui elle taille une pipe sans vergogne, dans une hilarante orgie. Joey rejoint enfin New York, une maquette de carton pâte où scintille un Empire State Building miniature. Dans un remake de Attack of the 50 Foot Woman, elle écrase des taxis minuscules, et avale des passants de la taille d’une fourmi.

Pendant plus d’une heure, pluie de paillettes, rideaux perlés, projections sous LSD, string en latex, ingénieuses marionnettes de Twist… entourent la fascinante Joey à la gouaille et à l’humour dévastateur. Mais surtout c’est sa voix quand elle chante qui me donne la chair de poule : rauque et sexy, comme un écho lointain de Billie Holiday. Absolument fabuleuse !

Je ne regrette pas une minute d’avoir fait le trajet jusqu’à cette bizarre néo-ville de Créteil à l’architecture morne et désolée pour y découvrir ces véritables perles. Van Hove m’ouvre sur d’infinies questions sur le théâtre et la folie qu’il faut pour se présenter ainsi à nue sur un plateau. Et Arias m’a enchantée par son côté totalement débridée, tellement outrancier que ça en devient génial.