☁ nuage zéro ☁

Une drôle de petite fille - Irmgard Keun

photo de la couverture du livre *Une drôle de petite fille* d'Irmgard Keun (Balland, 1984) avec un dessin de Claire Forgeot représentant une petite fille en robe bleue qui marche en souriant à travers une ville pavée de type Europe du Nord.

Un roman découvert au hasard dans une ressourcerie, intriguée par sa couverture colorée et la maison d'édition que je ne connais pas. Et quelle découverte ! Un roman écrit en 1938 par Irmgard Keun, une autrice allemande oubliée. Une petite merveille, drôle et poignante, que je savoure chaque matin au café du coin.

C'est le récit à la première personne d'une « drôle de petite fille » bringueballée à travers l'Europe par ses parents qui fuient le nazisme - en particulier son père, un poète et écrivain fantasque, qui disparaît régulièrement pour des semaines ou des mois pour trouver de l'argent ou suivre une maîtresse, abandonnant femme et enfant sans un sou dans des hôtels à Ostende, Amsterdam ou en Pologne. La petite fille raconte la faim, les crises d'angoisse de sa mère, tout en s'émerveillant comme une enfant du quotidien si bizarre.

Ce n'est jamais larmoyant malgré ce contexte tragique, c'est bourré d'humour, parfois à la lisière du fantastique.

Chère Irmgard Keun (traduite par Dominique Autrand), merci pour ce roman !

« À côté de notre hôtel il y a un homme qui a une grosse voiture avec plein, plein de verres qui contiennent des harengs et des cornichons. Je me suis liée d'amitié avec l'homme mais je ne peux parler avec lui qu'en me bouchant le nez, tant les harengs puent. Il parle hollandais et pourtant j'arrive presque toujours à le comprendre. Il a un visage comme une feuille de papier froissée en boule, des yeux bleus et des cheveux blonds. Son père est mort, il a encore une mère et deux sœurs mais pas d'enfants ni de femme parce qu'il n'a pas l'argent pour ça. Il aime les harengs, les oignons et sa mère ; mais il n'aime pas ses sœurs.
Il m'a aussi parlé des maharadjahs. Je me dis que j'épouserai précisément un maharadjah. Les maharadjas me donneront alors des diamants gros comme des œufs. Avec un diamant comme ça, je pourrai acheter tous les hôtels du monde, mes parents et moi nous pourrons sans soucis entrer dans tous les hôtels du monde et en sortir, nous n'aurons jamais besoin de payer et nous pourrons partir quand nous voudrons.
Un maharadjah a aussi beaucoup de femmes et c'est très bien ainsi. Quand un mari part en voyage, on n'est pas seule, on peut se consoler avec les autres femmes. Je ne sais pas si on a le droit d'épouser plusieurs maharadjahs. Ce serait l'idéal. Si certains d'entre eux partaient subitement très loin en Pologne, il vous en resterait toujours quelques-uns. Je vois bien avec ma mère comme c'est dur pour une femme de s'en sortir avec un seul homme. »

Irmgard Keun. Une drôle de petite fille. Trad. de Dominique Autrand. Balland, 1984, p.73-74