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La montée de l'insignifiance - Cornelius Castoriadis

Lire aujourd'hui ces mots de Castoriadis publiés en 1982 :

« Comment et pourquoi les couches dirigeantes de pays, qui, pendant cinq siècles, ont dominé la planète, révèlent-elles brusquement un état de décrépitude qui les place en situation d'infériorité par rapport à la stratocratie russe ? Comment et pourquoi les sociétés les plus riches, les plus productives que la Terre ait jamais portées, se trouvent-elles mortellement menacées par un régime qui ne parvient pas à nourrir et loger décemment sa population ? Comment et pourquoi se produit et se maintient ce fantastique aveuglement volontaire des populations occidentales face aux virtualités monstrueuses dont, de toute évidence, cet état de faits est porteur ? »

Cornelius Castoriadis. « La crise des sociétés occidentales » in La montée de l'insignifiance. Seuil, 1996, p.11

Et ceux-ci publiés en 1991 :

« Deux faits me semblent incontestables. D'abord, que la technoscience s'est autonomisée : personne n'en contrôle l'évolution et l'orientation, et, malgré les différents « comités d'éthique » (le dérisoire de l'intitulé se passe de commentaires et trahit la vacuité de la chose), il n'y a aucune prise en considération des effets indirects et latéraux de cette évolution. Ensuite, qu'il s'agit d'une trajectoire d'inertie, au sens de la physique ; laissé à lui-même, le mouvement continue.

Cette situation incarne et exprime tous les traits de l'époque contemporaine. L'expansion illimitée d'une pseudo-maîtrise y est poursuivie pour elle-même, détachée de toute fin rationnelle ou raisonnablement discutable. On invente tout ce qui peut être inventé, on produit tout ce qui peut être (rentablement) produit, les « besoins » correspondants seront suscités après.(...)

Cela exige une reconsidération de toutes les valeurs et habitudes qui nous dominent. D'un côté, nous sommes les habitants privilégiés d'une planète peut-être unique dans l'univers - en tout cas, si le truisme est permis : unique pour nous -, d'une merveille que nous n'avons pas créée et que nous sommes en train, allègrement, de détruire. D'un autre côté, nous ne pouvons évidemment pas renoncer au savoir sans renoncer à ce qui fait de nous des êtres libres. Mais, comme le pouvoir, le savoir n'est pas innocent. Il faut donc au moins essayer de comprendre ce que l'on est en train de vouloir savoir, et être attentif aux retombées possibles de ce savoir. Ici encore apparaît la question de la démocratie sous de multiples formes. »

Cornelius Castoriadis. « Le délabrement de l'occident » in La montée de l'insignifiance. Seuil, 1996, p.71-72