nuage zéro

La Maison Golden

Salman Rushdie

Découverte du continent Rushdie, que je n'avais jamais lu, aveuglée par cette fatwa proférée contre lui il y a plus de trente ans, que j'ai toujours trouvée horrible, mais dont je réalise qu'elle me faisait également écran à cet auteur. Je n'en avais qu'une image floue, un peu triste et ennuyeuse. Or, La Maison Golden est tout le contraire, un livre brillant, souvent très drôle, vif et bouillonnant, une saga qui m'emporte dans son tourbillon de personnages et d'idées.

« — De nos jours, le seul dont tu penses qu'il te ment, c'est le spécialiste qui justement connait la question. C'est celui qu'on ne peut pas croire parce qu'il fait partie de l'élite et que l'élite est contre le peuple et cherche à l'humilier. Connaître la vérité c'est faire partie de l'élite. Si tu affirmes avoir vu le visage de Dieu dans une pastèque, tu convaincras plus de monde que si tu as découvert le chaînon manquant parce que si tu es un savant, tu appartiens à l'élite. La téléréalité est un mensonge mais elle n'a rien à voir avec l'élite, alors on achète. Les informations : ça c'est l'élite.
 — Je ne veux pas faire partie de l'élite. Est-ce que j'en suis ?
 — Il faut que tu y réfléchisses. Tu dois devenir post-factuel.
 — C'est pareil que fictionnel ?
 — La fiction c'est l'élite. Plus personne n'y croit. Le post-factuel est produit par le marché de masse, l'ère de l'information, les trolls. C'est ce que veulent les gens.
 — Je déteste la truthiness, la vérité présumée. Je hais Stephen Colbert.

Telles étaient nos divagations dominicales. »

Salman Rushdie, La Maison Golden, trad. Gérard Meudal, Actes Sud, 2018, p.259 édition numérique

« Je soupçonne que l'identité, au sens moderne du terme - nationale, raciale, sexuelle, politisée, controversée -, est devenue une série de systèmes de pensée dont certains ont poussé D. Golden au suicide. La vérité c'est que nos identités nous restent impénétrables et c'est peut-être mieux ainsi, que l'individu demeure un fouillis et un chaos, contradictoire et irréconciliable. »

Salman Rushdie, La Maison Golden, trad. Gérard Meudal, Actes Sud, 2018, p.343 édition numérique

« Il arrive que ce soit les méchants qui gagnent et que fait-on alors, lorsque le monde auquel on croit devient une lune de carton, quand une planète obscure surgit et déclare, non, le vrai monde, c'est moi ? Comment peut-on vivre au milieu de ses compatriotes, hommes et femmes, quand on ne sait pas lesquels font partie des soixante millions ou davantage qui ont porté l'horreur au pouvoir ? Quand on ne sait pas qui fait partie des quelques quatre-vingt-dix millions qui s'en sont lavés les mains et sont restés chez eux ou quand vos concitoyens vous disent que le savoir est élitiste et qu'ils détestent les élites alors que tout ce que vous avez jamais possédé c'est votre esprit et que vous avez été élevé dans la croyance en la beauté du savoir, non pas que le savoir représente un pouvoir, c'est absurde, mais le savoir c'est la beauté, et alors tout cela, l'éducation, l'art, la musique, le cinéma devient l'objet de détestation et que la créature née du Spiritus Mundi se lève et se traîne jusqu'à Washington DC pour venir à la lumière. »

Salman Rushdie, La Maison Golden, trad. Gérard Meudal, Actes Sud, 2018, p.408 édition numérique